Etude de Cas Pratique : ‘‘Les Artisans de la Terre’’

Une Renaissance Écologique dans l’Oasis de Skoura

Par une matinée d’hiver, l’atelier collectif du Réseau des Artisans de la Terre (RAT) bourdonne d’activité. Des mains jeunes et moins jeunes pétrissent l’argile dorée de la vallée, tandis qu’au fond, un groupe discute autour d’un écran affichant des modèles 3D de voûtes traditionnelles. Ici, à une quarantaine de kilomètres d’Ouarzazate, se joue une révolution silencieuse – celle qui réconcilie héritage berbère et avenir durable.

La Transmission Réinventée

Fatima, 28 ans, étale méticuleusement un mélange d’argile et de paille hachée sur un support en bois. "Cette tabia, mon arrière-grand-père l’utilisait pour construire des ighrem, ces greniers collectifs qui défiaient le temps", explique-t-elle en ajustant son foulard. "Mais nous, nous y ajoutons de la chaux naturelle pour mieux résister aux pluies diluviennes qui deviennent plus fréquentes."

Ce détail technique en apparence anodin résume toute la philosophie du RAT : puiser dans la sagesse des anciens pour répondre aux défis contemporains. Contrairement aux ateliers familiaux traditionnels où le savoir se transmet verticalement, le réseau a opté pour une circulation horizontale des compétences. Chaque vendredi, les membres – dont 35% sont des femmes, une proportion inédite dans ce milieu – se réunissent pour des séances d’échange de techniques.

L’Économie de la Terre

Les résultats parlent d’eux-mêmes. En cinq ans d’existence, le collectif a vu son chiffre d’affaires croître de 22% annuellement, atteignant près de 2 millions de dirhams en 2023. Cette réussite repose sur plusieurs piliers : des contrats avec des écolodges haut de gamme qui représentent 70% de leur activité, la vente innovante de kits de construction en terre pour particuliers, et des formations certifiantes développées avec l’OFPPT.

Les artisans affiliés au réseau gagnent en moyenne 4 300 dirhams mensuels, soit près du double du revenu typique d’un maçon traditionnel dans la région selon les données du HCP. Une performance d’autant plus remarquable qu’elle s’accompagne d’un impact environnemental positif : les constructions en terre réduisent de 65% les émissions de CO2 comparé aux méthodes conventionnelles, comme l’a démontré une étude de l’IRESEN en 2022.

Science et Tradition

La particularité du RAT réside dans son dialogue constant avec la recherche scientifique. Dans un coin de l’atelier, un jeune ingénieur de l’Université Cadi Ayyad teste la résistance de briques expérimentales stabilisées… avec du mucilage de cactus. "Les résultats préliminaires montrent une augmentation de 40% de la durabilité", explique-t-il, tout en surveillant un scanner 3D qui numérise des motifs décoratifs ancestraux pour les archives de l’UNESCO.

Cette synergie entre savoir empirique et recherche appliquée a permis des innovations remarquables, comme l’adaptation des systèmes de ventilation traditionnels (badgirs) aux villas contemporaines. "Nous avons modélisé le flux d’air dans ces conduits ancestraux pour optimiser leur efficacité énergétique", précise le professeur Amrani, qui supervise le projet.

L’Appui des Institutions et Ses Limites

Le succès du RAT n’aurait pas été possible sans certains soutiens institutionnels. En 2021, l’ANDZOA leur a octroyé une subvention de 200 000 dirhams pour l’achat d’un malaxeur industriel. L’année suivante, le Ministère de la Culture leur décernait le label "Patrimoine Vivant", ouvrant des portes sur les marchés internationaux.

Pourtant, des obstacles persistent. "Nous butons quotidiennement sur des problèmes administratifs", déplore Karim, le trésorier. "La récupération de la TVA sur nos exportations relève du parcours du combattant, et notre statut de coopérative informelle nous ferme certains financements." Ces écueils illustrent le décalage entre les politiques publiques et la réalité des artisans innovants.

Un Modèle à Essaimer

Aujourd’hui, le modèle RAT essaime. Douze projets similaires sont en cours de développement, du Rif aux contreforts de l’Anti-Atlas. "Nous ne cimentons pas que des murs, nous consolidons des communautés", résume Mohamed, l’un des fondateurs.

Dans un pays où le secteur du bâtiment représente 23% des émissions nationales selon le Ministère de l’Énergie, et où 68% des jeunes ruraux envisageaient encore l’émigration en 2021 (HCP), l’expérience des Artisans de la Terre ouvre une voie prometteuse. A condition que les politiques publiques sachent en tirer les leçons : reconnaissance des statuts hybrides, fiscalité adaptée, et surtout, confiance dans cette génération qui réinvente l’artisanat sans renier ses racines.

Alors que le soleil décline sur Skoura, illuminant les murs ocre de l’atelier, une nouvelle fournée de briques sèche tranquillement. Certaines porteront bientôt les noms des derniers membres – autant de promesses scellées dans la terre, pour les années à venir.

Previous
Previous

Fiche Technique : Initiative "Terre Jeunesse" de l’Asso Terre et Humanisme Maroc