‘‘Moroccan Electric Roads’’ : Extraits de Carnets de Route

Prologue : La Route qui Respire

Le vent du large caresse les visages des ouvriers penchés sur l’asphalte encore chaud de la route côtière Casablanca-El Jadida. Abdelkrim, contremaître depuis vingt ans dans le BTP, passe une main curieuse sur la bande bleutée qui serpente le long de la voie. "Ce n’est plus une route, c’est une créature vivante", murmure-t-il. Sous ses doigts, des capteurs enfouis dans le bitume clignotent faiblement, comme un pouls électronique. Nous sommes en ce matin de mars 2025, et le Maroc vient d’accoucher d’une première mondiale : une route qui parle aux voitures.

Chapitre 1 : Les Alchimistes du Bitume

Dans un hangar discret de la zone industrielle de Bouskoura, une équipe d’ingénieurs marocains et suédois s’affaire autour d’un étrange métier à tisser. À la place des fils, des bobines de cuivre ; à la place du tissu, une chape de béton intelligent. C’est ici que naissent les "bandes rechargeantes", ces artères technologiques qui donneront leur âme aux Moroccan Electric Roads.

"Regardez", m’explique Youssef, jeune doctorant en énergies renouvelables, en soulevant une plaque transparente. "Chaque mètre contient 14 bobines inductives capables de transférer 25 kW sans contact. C’est comme si la route murmurait à votre batterie : Je suis là, prends mon énergie." La métaphore est belle, presque poétique pour une technologie née de calculs savants.

Pourtant, dans les villages traversés par ces nouvelles routes, les anciens parlent autrement. À Sidi Rahal, où la MER longe les champs d’artichauts, le vieux Moha compare le système aux khettaras, ces galeries drainantes ancestrales : "Nos aïeux faisaient circuler l’eau sous terre. Aujourd’hui, c’est l’électricité qui coule invisible. Le progrès est un serpent qui se mord la queue."

Chapitre 2 : La Danse des Camions Fantômes

Minuit, quelque part entre Bir Jdid et El Jadida. Dans le poste de contrôle de la MER, les écrans balayent la route d’un œil infrarouge. Soudain, un signal : un convoi de camions électriques approche. Sans un bruit, les bandes rechargeantes s’activent, leur bleu électrique s’intensifiant faiblement dans la nuit.

"C’est magique", souffle Leila, l’une des premières femmes conductrices de poids lourds formées pour ce projet. "Hier encore, je calculais chaque kilowatt comme un avare compte ses sous. Maintenant, je roule en sachant que la route me portera." Dans son rétroviseur, le compteur d’autonomie remonte lentement, comme une marée électrique.

Cette magie a un prix : 1 800 techniciens, souvent recrutés dans les villages avoisinants, veillent jour et nuit sur ce corps électrifié. Parmi eux, Fatima-Zahra, ancienne ouvrière agricole devenue "médecin des routes", me montre son kit de diagnostic : "Nous écoutons les bobines avec des stéthoscopes électroniques. Quand l’une d’elles toussote, nous la soignons avant qu’elle ne s’éteigne."

Chapitre 3 : Le Souk Électrique

À Dar Bouazza, là où la MER frôle le grand marché hebdomadaire, une scène surréaliste se déroule chaque vendredi. Sous des tentes dressées à même l’accotement, des vendeurs proposent des légumes "chargés à l’énergie routière". "Mes tomates poussent avec le soleil qui alimente la route, puis voyagent dans des camions nourris par cette même route. C’est un cercle vertueux !", clame un marchand malicieux.

Plus loin, un atelier clandestin – toléré par les autorités – recycle les vieilles batteries de véhicules en systèmes de stockage pour les foyers modestes. "L’énergie doit circuler comme le sang", philosophe le vieux Moulay, artisan de cette économie parallèle.

Chapitre 4 : Les Résistances

Mais cette révolution ne se fait pas sans heurts. À Sidi Bennour, des agriculteurs ont bloqué pendant trois semaines les travaux. "Ils prennent nos terres pour des jouets technologiques", tonne Ahmed, dont le champ d’oliviers a été rogné par la nouvelle voie. Les médiateurs du projet ont dû organiser des diwans nocturnes, sous les tentes, pour expliquer, négocier, parfois pleurer avec les opposants.

D’autres résistances, plus subtiles, viennent des traditions. Certains chauffeurs de taxi refusent de "confier leur âme à une route sorcière". D’où ces scènes surréalistes de Mercedes diesel centenaires roulant prudemment sur la bande latérale non électrifiée, tandis que les bolides électriques glissent sur la voie royale.

Épilogue : Les Rêves de la Route

De retour sur la MER à l’aube, je croise un groupe d’écoliers qui marchent le long de la bande cyclable. L’un d’eux traîne son cartable équipé d’un petit récepteur DIY. "Mon père m’a montré comment capter l’énergie perdue pour charger mes lampes", me confie-t-il avec fierté.

C’est peut-être là le vrai visage de cette révolution : non pas une froide infrastructure, mais un organisme vivant qui inspire, détourné, approprié, parfois contesté, mais toujours habité. Comme me l’a dit un vieux routier dans un café de Mazagan : "Une route, ça ne se mesure pas en kilowatts ou en kilomètres. Ça se mesure en histoires qu’elle fait naître."

Références Vivantes

  • Carnets de terrain (mars-avril 2025) le long de la MER

  • Entretiens avec les équipes d’IRESEN et de l’AMEE

  • Archives orales recueillies auprès des habitants du littoral

  • Étude "Les Imaginaires Technologiques" (Université Hassan II, 2025)

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