L’ingénierie climatique traditionnelle au Maroc : khettaras, arganiers, terrasses et sagesses oubliées
Introduction :
Avant les satellites, avant les modèles numériques, il y avait les ombres, les gestes, les pierres posées avec justesse. Il y avait un savoir — non pas écrit, mais transmis, vécu, ancré dans la relation au climat. Dans les oasis du Sud, les montagnes du Haut Atlas ou les plaines atlantiques, le Maroc a su inventer des formes d’ingénierie climatique rustiques mais redoutablement efficaces. Aujourd’hui, ces systèmes sont en péril, remplacés trop vite ou oubliés trop longtemps. Pourtant, dans un contexte de crise environnementale, ils pourraient bien contenir les clés d’un avenir plus sobre et plus durable.
Khettaras et seguias : l’eau souterraine comme fil de vie
Les khettaras (ou foggaras), ces galeries drainantes creusées à la main, permettaient de capter les eaux souterraines des nappes fossiles et de les acheminer par gravité vers les zones de culture. Sans pompe, sans électricité. Les seguias, canaux d’irrigation ouverts, répartissaient l’eau selon un calendrier souvent lié au cycle lunaire et à des conventions sociales transmises de génération en génération. Ce sont des technologies de la lenteur, de l’équilibre, du partage. Et dans certaines régions, elles fonctionnent encore.
L’arganier : arbre-climat, arbre-système
L’arganier n’est pas qu’un symbole du Sud marocain. Il est un acteur climatique. Par son système racinaire profond, il stabilise les sols, recharge les nappes, régule l’humidité. Par ses feuilles, il offre ombre et refuge. Par son fruit, il crée une économie locale. C’est un écosystème en soi — un « ingénieur végétal ». Et pourtant, son espace se réduit.
Les terrasses agricoles : architecture paysanne de résilience
Dans le Rif ou l’Atlas, les cultures en terrasse permettaient de conserver l’eau, de lutter contre l’érosion, et de maximiser l’usage des pentes. Ces murs de pierre sèche, construits sans ciment, témoignent d’un savoir architectural paysan. Aujourd’hui, certains s’effondrent, abandonnés. Pourtant, leur restauration pourrait participer à la résilience alimentaire et climatique des régions montagneuses.
Pourquoi ces savoirs ont été marginalisés ?
La modernisation agricole, les politiques centralisées, et l’attrait pour les solutions « rapides » ont marginalisé ces techniques. Elles sont souvent vues comme archaïques, « non scientifiques », alors qu’elles relèvent d’une écologie de la connaissance fine, locale, empirique. Les intégrer à nos stratégies actuelles, ce n’est pas revenir en arrière. C’est avancer autrement.
Vers une ingénierie climatique marocaine hybride
Imaginez un Maroc où :
Les khettaras sont restaurées avec l’aide de drones et de modélisation topographique.
Les seguias sont régulées par des capteurs, mais toujours gérées par les anciens.
L’arganier devient le pivot de stratégies climatiques régionales.
Les terrasses sont inscrites au patrimoine vivant et soutenues par des programmes d’insertion.
C’est possible. Mais cela exige de croire à l’intelligence des marges. De financer la mémoire. Et de relier le passé au futur, non pas par nostalgie, mais par lucidité.
Conclusion : faire mémoire pour faire avenir
L’ingénierie climatique traditionnelle n’est pas un folklore. C’est un trésor. Elle ne doit pas être figée dans des musées, mais transmise, adaptée, redynamisée. En tressant savoirs anciens et outils modernes, le Maroc peut inventer une ingénierie climatique sensible, souveraine, et profondément humaine.
Car parfois, pour réparer demain, il faut commencer par écouter hier.