Peut-on intégrer les savoirs ancestraux dans les algorithmes modernes ?
Introduction :
Il y a, dans la mémoire des peuples, des connaissances que les machines n’ont pas encore su apprendre. Le sens du vent sur la peau, la lecture des nuages, les gestes pour écouter la terre sans la fatiguer. Ces savoirs, transmis sans manuels, vécus dans les corps, parfois même en silence, forment une science de la relation au vivant. Et aujourd’hui, alors que les algorithmes tracent nos routes, régulent nos cultures et prédisent nos récoltes, une question essentielle se pose : peut-on intégrer ces sagesses anciennes dans les logiques modernes de l’intelligence artificielle ?
Savoir-faire traditionnels : une ingénierie de la résilience
Dans les montagnes de l’Atlas, dans les palmeraies du Sud, dans les systèmes d’irrigation ancestraux comme les khettaras ou les seguias, on retrouve une intelligence empirique, affinée par les siècles. Une gestion collective de l’eau, une connaissance fine des cycles lunaires, une manière d’adapter la culture aux sols plutôt que l’inverse. Ces pratiques sont durables par essence : elles cherchent l’équilibre, pas la maximisation.
Mais elles sont menacées. Uniformisées. Disqualifiées parfois par le discours technocratique. Pourtant, ce sont des mines d’informations — si l’on prend le temps de les traduire.
Traduire sans trahir : le rôle de la technologie sensible
Intégrer les savoirs traditionnels dans l’IA ne signifie pas les numériser brutalement. Cela suppose de créer des ponts :
Enregistrement audio ou vidéo de témoignages paysans.
Modélisation des pratiques agricoles locales dans des bases de données ouvertes.
Collaboration entre anciens, ingénieurs, développeurs et chercheurs.
Respect des langues locales et de leurs nuances sémantiques.
L’IA ne devient alors pas une force dominante, mais un outil de documentation, de transmission, de revalorisation. Une mémoire augmentée.
Vers une IA indigène ?
Peut-on imaginer une intelligence artificielle nourrie de la diversité des cultures, des contextes, des écosystèmes ? Une IA qui ne cherche pas l’uniformité, mais l’adaptation ? Une IA plurielle, polyphonique, où un algorithme entraîné dans le Souss ne donnera pas les mêmes recommandations qu’un autre conçu dans le Rif ?
Cette vision existe déjà dans certains projets pilotes. Des systèmes de recommandation agricole construits avec les anciens. Des modèles météorologiques enrichis de savoirs locaux. Des diagnostics de santé des sols mêlant capteurs et observations empiriques.
Conclusion : une sagesse enracinée dans le futur
L’intelligence artificielle ne doit pas écraser les cultures. Elle doit s’en nourrir. Et les savoirs ancestraux ne sont pas des reliques. Ce sont des technologies humaines — éprouvées, adaptatives, vivantes. En les intégrant dans nos logiques modernes, on ne regarde pas vers le passé. On avance vers un futur qui respecte l’épaisseur du monde.
Car toute technologie qui oublie la mémoire finit par se perdre. Et tout futur qui oublie ses racines ne saura pas durer.