Les Comités de l'Eau – Gouvernance Communautaire des Ressources Hydriques au Maroc
Les Comités de l'Eau – Gouvernance Communautaire des Ressources Hydriques au Maroc
Contexte et Origines Institutionnelles
Dans les zones rurales marocaines où 65% des conflits locaux concernent l'accès à l'eau (Haut-Commissariat au Plan, 2023), les comités de l'eau émergent comme un modèle de gouvernance participative. Institués par la Loi 36-15 sur l'eau, ces organismes locaux représentent une synthèse entre les traditions ancestrales des assemblées villageoises (Jema'a) et les exigences modernes de gestion intégrée des ressources. Leur déploiement s'accélère depuis 2020 sous l'impulsion de l'Agence des Bassins Hydrauliques, avec 842 comités opérationnels recensés à fin 2023.
Composition et Fonctionnement
Un comité type regroupe 9 à 15 membres élus, reflétant la diversité des usagers : petits agriculteurs (40% des sièges), éleveurs (25%), femmes (20% minimum) et jeunes (15%). Leur mandat de trois ans s'articule autour de trois missions claires : établir les tours d'eau, surveiller la qualité des ressources, et arbitrer les litiges. À Tafraout dans le Souss, le comité local a développé un système original de "cartes d'eau" nominatives permettant de suivre les prélèvements en temps réel via une application mobile développée avec l'Université Ibn Zohr.
Outils de Gestion et Prise de Décision
L'efficacité des comités repose sur des instruments techniques validés par la recherche :
Les "contrats de nappe" établis avec l'appui des hydrogéologues de l'ABH
Les indicateurs de stress hydrique adaptés aux spécificités locales
Les assemblées délibératives mensuelles suivant un protocole inspiré des travaux de l'économiste Elinor Ostrom
Une étude de l'INRA (2023) portant sur 57 comités révèle que cette approche a permis :
Une réduction de 35% des conflits liés à l'eau
Une amélioration de 28% de l'efficience d'irrigation
Une augmentation de 22% du taux de recouvrement des redevances
Innovations Sociales et Impacts
L'originalité du modèle marocain réside dans son hybridation culturelle. À Zagora, les comités ont intégré le système traditionnel de mesure du temps d'irrigation (la "taqiya", sablier hydraulique local) avec des compteurs volumétriques modernes. Dans le Haouz, les "comités mobiles" équipés de kits d'analyse portatifs parcourent les douars isolés pour des conseils techniques. Ces adaptations ont généré des résultats tangibles : 92% des projets hydrauliques supervisés par des comités actifs montrent une meilleure durabilité selon l'étude de la Banque Mondiale (2024).
Défis et Perspectives
Malgré ces succès, trois obstacles majeurs persistent :
La faible représentation des femmes dans certaines zones conservatrices
Le manque de moyens pour appliquer les décisions
La tension croissante entre agriculture familiale et projets agro-industriels
Le programme "Comités 2.0" lancé en 2024 prévoit :
La formation de 1 200 jeunes "ambassadeurs de l'eau"
L'équipement des comités en outils numériques de télédétection
La création d'un fonds de garantie pour les projets hydro-économiques
Témoignage Éclairant
"Avant, les puits s'asséchaient et les querelles s'envenimaient. Maintenant, nous avons des règles claires et une vraie solidarité", explique Fatima, présidente du comité de Taliouine, dont le modèle de gestion a permis de requalifier 17 sources taries.
→ Pour Approfondir
Guide méthodologique des comités de l'eau (ABH, 2023)
Étude "Gestion Sociale de l'Eau au Maroc" (Université Mohammed V)
Plateforme de partage d'expériences : www.eaucommunautaire.ma
(Ce dispositif, dont le coût moyen de mise en place s'élève à 45 000 DH par comité, représente un investissement stratégique dans la paix sociale et la résilience climatique. Son évolution sera déterminante pour atteindre les Objectifs de Développement Durable dans les zones rurales.)