Fiche Technique :
Droits d'Eau et Propriété Foncière au Maroc : Les Évolutions Clés de 2024

Introduction : Un Paysage Juridique en Mutation
Le Maroc connaît en 2024 une refonte majeure de son cadre législatif concernant l'articulation entre droits hydriques et propriété terrienne. Ces changements, issus de la Loi 64-21 sur la Réforme du Régime des Eaux et du décret d'application 2.24.128, redéfinissent profondément les rapports entre ressources naturelles et droits de propriété. Dans un contexte où 73% des conflits ruraux ont une dimension hydrique (Haut-Commissariat au Plan, 2023), cette réforme cherche à concilier sécurité juridique des investisseurs et préservation des équilibres socio-écologiques.

Les Trois Innovations Majeures de 2024

1. Détachement des Droits d'Eau de la Propriété Foncière
La disposition la plus révolutionnaire introduit une séparation juridique claire entre titre de propriété et accès à l'eau. Désormais :

  • Tout nouveau titre foncier doit explicitement mentionner si les droits d'eau y sont inclus

  • Les droits historiques d'irrigation doivent être enregistrés séparément au Livre Foncier Hydraulique

  • Les transactions immobilières n'impliquent plus automatiquement transfert des droits hydriques

Cette mesure, inspirée des travaux du Pr. El Hiba (Université Mohammed VI Polytechnique), vise à endiguer la spéculation sur les ressources en eau, particulièrement critique dans le Souss où 40% des puits ont changé de main depuis 2020 (Agence du Bassin Hydraulique du Souss-Massa, 2024).

2. Création des Zones de Préservation Hydrique Prioritaire (ZPHP)
Le nouveau texte identifie 17 zones où toute transaction foncière supérieure à 5 hectares déclenche :

  • Une étude d'impact hydrique obligatoire

  • Un droit de préemption des autorités hydrauliques

  • L'imposition de techniques d'irrigation économes

Ces zones couvrent notamment les périmètres des khettaras encore actives et les bassins versants critiques. Une innovation majeure permet aux associations d'usagers de s'opposer aux transactions jugées menaçantes pour la sécurité hydrique collective.

3. Réforme du Régime des Concessions
Le décret 2.24.128 modernise le système des concessions hydrauliques :

  • Durée maximale réduite de 30 à 15 ans

  • Introduction d'un audit environnemental bisannuel

  • Obligation de réversibilité des aménagements

  • Priorité donnée aux projets intégrant la recharge artificielle des nappes

Impacts et Chiffres Clés
Les premiers effets de la réforme se font déjà sentir :

  • 62% des transactions en ZPHP ont intégré des clauses de durabilité hydrique

  • 214 conflits historiques résolus via le nouveau mécanisme d'arbitrage

  • Augmentation de 35% des demandes de certification en irrigation goutte-à-goutte

Défis Persistent
L'étude de l'Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II (2024) identifie cependant trois limites :

  1. Complexité des procédures pour les petits agriculteurs

  2. Retards dans la numérisation des registres hydrauliques

  3. Risque de concentration des droits d'eau via des montages juridiques

Perspectives
La prochaine étape prévoit :

  • L'intégration des données satellitaires dans le suivi des droits

  • La création d'une bourse d'échange des droits hydriques

  • L'extension du modèle aux eaux usées traitées

Conclusion
Cette réforme positionne le Maroc à l'avant-garde du droit africain des ressources naturelles, comme le souligne la Banque Mondiale dans son récent rapport sur la gouvernance de l'eau. Elle offre un cadre plus transparent pour les investisseurs tout en protégeant les droits historiques des communautés locales.

Références Académiques et Légales

  • Loi 64-21 sur le Régime des Eaux (BO n°7218 du 3 janvier 2024)

  • Décret 2.24.128 portant application de la Loi 64-21

  • Étude "Water Tenure in Morocco" (IWMI, 2023)

  • Rapport de la Banque Mondiale sur les réformes hydriques au Maroc (mars 2024)

  • Thèse du Pr. El Hiba "Droit de l'Eau et Sécurité Alimentaire" (UM6P, 2022)