Introduction : Une Révolution sous les Pneus

Le long de la route côtière entre Casablanca et El Jadida, où l’Atlantique caresse les reliefs sauvages du Doukkala, une étrange bande asphaltée scintille sous le soleil. Ce ruban noir, traversé de fines lignes bleutées, est bien plus qu’une simple chaussée : c’est l’une des premières « Moroccan Electric Roads » (MER), ces voies capables de recharger les véhicules électriques en roulant. Lancé officiellement en 2024 sous l’égide du Ministère de l’Équipement et de l’Eau, avec le soutien de l’Agence Marocaine pour l’Efficacité Énergétique (AMEE) et des fonds européens, ce projet pharaonique place le Maroc à l’avant-garde mondiale des infrastructures de mobilité durable.

Genèse d’une Ambition Nationale

L’idée des MER ne naît pas ex nihilo. Elle s’inscrit dans la continuité de la Stratégie Nationale de Développement Durable 2030 et du Nouveau Modèle de Développement, qui visent à décarboner les transports – secteur responsable de 23% des émissions de CO₂ du pays (Rapport du CESE, 2023). Mais c’est surtout la Loi 40-19 relative à la Mobilité Électrique, adoptée en 2022, qui a posé les bases juridiques de cette innovation.

Le projet MER s’articule autour d’une technologie suédoise adaptée au contexte marocain : des bobines inductives enfouies sous la chaussée, alimentées par des fermes solaires adjacentes, permettent une recharge dynamique des véhicules équipés. Une première mondiale dans un pays en développement, comme le souligne un rapport de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE, 2024).

Un Pilote Éloquent : La Route Casablanca-El Jadida

Le tronçon de 70 km entre Casablanca et El Jadida, inauguré en mars 2025, sert de laboratoire à ciel ouvert. Les données préliminaires sont prometteuses :

  • Réduction de 35% de l’autonomie perdue par les poids lourds électriques, selon l’Institut de Recherche en Energie Solaire et Energies Nouvelles (IRESEN).

  • Économie annuelle estimée à 12 000 DH par camion en coûts de recharge, d’après une étude de la CGEM.

  • Création de 220 emplois locaux pour la maintenance et la surveillance des infrastructures.

Mais l’innovation ne s’arrête pas à la technologie. Le projet inclut un volet social ambitieux : des coopératives agricoles riveraines bénéficient de l’excédent d’énergie solaire pour irriguer leurs cultures, grâce à un système de smart grids développé avec l’Université Mohammed VI Polytechnique.

Cadre Juridique et Incitations pour les Investisseurs

Le décret n°2.24-658 de 2024, relatif aux « Infrastructures de Recharge Dynamique », offre un cadre attractif pour les investisseurs étrangers et les startups de la green tech :

  • Exonérations fiscales à hauteur de 30% pour les entreprises participant aux chantiers MER.

  • Garanties de l’État sur les prêts bancaires verts accordés aux opérateurs privés.

  • Simplification des procédures pour l’acquisition foncière le long des corridors désignés.

Ce cadre a déjà séduit des géants comme Siemens Mobility et des startups marocaines comme WeDrive, spécialisée dans les logiciels de gestion énergétique routière.

Défis et Résistances

Malgré son potentiel, le projet MER ne fait pas l’unanimité. Certains agriculteurs du Gharb dénoncent l’artificialisation des terres arables, tandis que des experts en infrastructures, comme le Pr. Amrani de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, pointent les coûts initiaux élevés : près de 18 millions de DH par kilomètre, selon les estimations du Ministère.

Par ailleurs, l’adoption encore limitée des véhicules électriques au Maroc (moins de 5% du parc automobile en 2025) pose la question de la rentabilité à court terme. Pour y répondre, le gouvernement a lancé un plan de subventions à l’achat de camions et bus électriques, couplé à un vaste programme de formation des mécaniciens aux nouvelles technologies.

Perspectives : Vers un Réseau National Électrifié

D’ici 2030, le Maroc prévoit d’électrifier 1 200 km d’axes stratégiques, dont :

  • Tanger-Casablanca, pour désengorger le trafic logistique.

  • Marrakech-Agadir, afin de verdir le tourisme.

  • Oujda-Fès, dans le cadre du développement des villes intermédiaires.

Une étude de la Banque Africaine de Développement (BAD, 2025) estime que ce déploiement pourrait générer 15 000 emplois directs et réduire de 1,2 million de tonnes les émissions annuelles de CO₂.

Témoignage d’un Acteur Clé

« Nous ne construisons pas que des routes, nous bâtissons l’écosystème énergétique de demain », explique Karim Tazi, PDG de CleanTech Maroc, l’un des principaux partenaires privés du projet. Son entreprise a développé un revêtement routier photovoltaïque testé sur la route de Settat, capable d’améliorer l’efficacité de recharge de 12%.

Conclusion : La Route comme Symbole de Transition

Le projet MER incarne la vision marocaine d’une transition énergétique inclusive, où infrastructures high-tech et développement local se nourrissent mutuellement. Alors que d’autres pays hésitent encore, le Maroc trace sa voie – littéralement – vers une mobilité zéro émission.

Références et Sources

Pour aller plus loin :

  • Webinaire AMEE sur les opportunités d’investissement (juin 2025)

  • Salon Africa Mobility à Casablanca (novembre 2025)

  • Appels à projets MER Phase 2 (ouvert jusqu’en décembre 2025)